Décryptage

Il se dit qu’une compagnie française a présenté ce 24 mai son projet industriel et stratégique, et qu’un communiqué de presse en résume les grandes lignes sur son site corporate. C’est un sujet sérieux et crucial pour l’avenir de la société, et le décrypter de façon sarcastique est un exercice délicat, qui risque de blesser certaines sensibilités. Faut-il pour autant s’interdire une relecture critique du message travaillé par les communicants, en cherchant en contrepoids à faire ressortir, de façon moins marquetée, les impacts, redoutés ou caricaturaux, que cette transformation génère pour les passagers ?

Dans la suite, nous imaginons à traits forcés le communiqué d’Air Napoléon, dans une pareille situation.

Conformément au calendrier prévu, le PDG d’Air Napoléon, a présenté aujourd’hui le projet industriel et stratégique Déform 1965 aux syndicats-grévistes et aux cadres de la compagnie. Ce projet vise à retrouver la compétitivité des beaux jours caravelles et à repositionner le produit et le service au client à un niveau moins dégradé que celui qu’il a malheureusement désormais atteint.

Air Napoléon a fait le choix de maintenir les grandes lignes de son périmètre d’activité, ce qui passe, compte tenu de la situation financière déplorable de la compagnie, par une amélioration de la productivité, qui s’organisera sur le dos principalement de 99,6% des employés et des clients. Air Napoléon a ainsi pour ambition de retrouver une dynamique de rentabilité lui évitant une proche faillite.

Le projet industriel et stratégique d’Air Napoléon se décline en trois axes.

1 – Réduire les coûts et le service sur le court et moyen-courrier

Pour retrouver sa compétitivité, l’activité court et moyen-courrier d’Air Napoléon, mal gérée depuis des années et donc aujourd’hui fortement déficitaire, va se restructurer autour de trois pôles complémentaires : Arnaque Napoléon, Petit Napoléon et Waterlavia.

  • L’activité court et moyen-courrier exploitée en propre par Air Napoléon se fera sous la marque Arnaque Napoléon, pour alimenter à prix fort (sur des créneaux horaires avantageux conservés à coups de corruption ClubZéro) et là où il y a des aujourd’hui encore quelques espoirs de vendre des sièges Bizbiz, l’activité long-courrier du hub de Roissy-sous-le-Brouillard et les bases de Marseille, Toulouse et Nice.
  • Elle sera complétée par le Petit Napoléon (un pôle regroupé de sous-traitants avec des appareils plus petits pour relier les coins paumés de France).
  • Tout le reste sera low-costisé au sein de Waterlavia avec l’espoir naïf d’être compétitif vis-à-vis de Brian Air ou BunnyJet, malgré des salaires plus élevés, mais qu’on va négocier, des horaires plus réduits, mais qu’on va allonger et une méga-administration-inutile-pleine-de-chefs, et qu’on va garder.

Il est explicitement signalé que le programme de fidélité Miles&Blues sera mis en avant pour Arnaque Napoléon uniquement, et que la compagnie va réduire sa flotte LC-MC de 34 avions (elle en compte environ 150 aujourd’hui).

Air Napoléon va également renouveler son offre sur tous ses segments. Les prestations offertes en classe Bizbiz seront repensées, ce qui signifie vraisemblablement qu’on va changer l’emballage du plateau-repas. En classe Bétail, une offre allégée (comprendre : un verre d’eau) et moins chère (comprendre : pour la compagnie qui veut ainsi combler ses déficits, pas pour réduire le prix du billet) sera proposée, ce qui n’est pas plus mal, puisqu’il est grand temps d’avouer qu’on en a tous marre des biscuits Grand-Mère Poularde. Air Napoléon continuera cependant à proposer un produit tout compris, ce qui est dommage : on va encore tous cotiser pour une collation de qualité moindre (quasi-nulle), alors qu’ailleurs on paye certes un supplément, mais uniquement pour les snacks dont on a envie. Par contre, certains médias annoncent déjà que tous les bagages soutes feront l’objet d’un coût supplémentaire, mais ceci ne devrait pas être dit dans le communiqué.

Air Napoléon augmentera par ailleurs la générosité de Miles&Blues pour les clients fréquents du réseau domestique (on peut comprendre par-là que le prix étant plus cher que Brian Air et le service moins bon que chez BunnyJet, il faut trouver d’autres arguments de vente, comme des miles et peut-être un bagage gratuit). Air Napoléon proposera aussi des offres d’abonnement sur son réseau européen, à présent que la compagnie vient d’annoncer qu’elle en réduit la voilure. Enfin, Air Napoléon va clarifier son offre en alignant les noms des produits moyen-courriers et long-courriers : Bizbiz, Premium Bétail et Bétaillère. Il est vrai que la peinture des panneaux « Pigeon Voyageur » est encore fraîche, mais pour cela il y a toujours de l’argent.

2- Essayer d’être rentables et crédibles sur l’activité long-courrier

Sur le long-courrier, Air Napoléon entend redresser son réseau autour de trois axes : faire plus efficace pour retrouver une dynamique de croissance, faire mieux en respectant son contrat de base avec le client (cette phrase fait peur : l’objectif est de faire mieux qu’aujourd’hui pour essayer de respecter au moins le minimum de base) et faire la différence par la qualité de ses produits et services (ouf… enfin on parle de qualité).

Pour retrouver une dynamique de croissance et améliorer sa performance économique, la compagnie va ouvrir de nouvelles liaisons à fort potentiel, rendues possibles par la baisse des coûts et une plus grande productivité des personnels navigants. D’un coût de baguette magique, la compagnie a en effet identifié plein de routes très rentables sur lesquelles aucun concurrent n’a pensé s’installer, où le pétrole est moins cher et le PNC est dopé.

A toutes les étapes du vol (et en oubliant néanmoins le point noir de la relation globale avec le client quand il n’est pas en vol), Air Napoléon entend améliorer ses produits et services en mettant notamment l’accent sur la ponctualité (progrès révolutionnaire !), en développant de nouveaux services (progrès indéfini ?) et en s’appuyant sur les nouvelles infrastructures mises à sa disposition à Roissy-dans-le-Brouillard (qui vise par cela à perdre sa réputation de pire hub du monde, faut-il le rappeler).

Air Napoléon a pour ainsi ambition de positionner les classes La Bienchère et Bizbiz au meilleur niveau mondial en travaillant sur toutes les composantes de l’offre. Ceci se traduira notamment par un service plus personnalisés et plus proche du client (ça c’est bien voire essentiel), des prestations améliorées (ça aussi) et des investissements dans de nouvelles cabines en classes avant. On fera aussi des efforts en classe Bétail (ça, c’est sympa), constituant le réservoir de croissance. Mais l’ensemble de ces investissements reste bien entendu soumis à la réussite du plan d’économies (ça, c’est annuler les promesses précédentes).

3 – Simplifier les procédures et l’organisation

Pour faciliter et améliorer le parcours des clients en aéroports, Air Napoléon va développer l’utilisation des nouvelles technologies pour permettre l’embarquement de manière autonome et fluidifier la dépose bagages. C’est pousser à l’extrême l’automatisation de la relation client et l’imposition des règles dogmatiques qu’Air Napoléon adore, et plus elles sont absurdes, plus il faut les complexifier pour qu’elles fonctionnent (quitte à organiser l’inconfort comme le dénonce ce blog), c’est pourquoi il faut faire appel aux nouvelles technologies.

Pour réussir sa transformation en profondeur, Air Napoléon a aussi entrepris la rénovation de son organisation moyenâgeuse pour la rendre plus simple, plus réactive et centrée entièrement sur le client. A titre d’exemple, qui vient malheureusement gâcher complètement les beaux principes donnés ci-avant, de nouveaux moyens seront engagés pour mettre les services mobiles et les ventes en ligne au cœur de la relation commerciale… et surtout pas l’intelligence et l’écoute du client.

Enfin, pour gagner 20% d’efficacité économique, il se confirme qu’Air Napoléon aura à faire face à un sureffectif. Le volume de ce sureffectif sera précisé dans la deuxième quinzaine de juin au vu des résultats des négociations et des derniers arbitrages sur le plan Déform 1965. Les jours de grèves devraient donc être annoncés en fin de mois, pour démarrer début juillet, soit comme le veut la tradition avec les départs en vacances. Pour les salariés, éviter le recours aux départs contraints reste un objectif. Pour les vacanciers, éviter le recours aux départs annulés serait préférable aussi.

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7 Réponses to “Décryptage”


  1. 1 Flo 29 mai 2012 à 07:30

    Houlala… Ça travaille sec du chapeau là.
    Qu’est e qui vaut à l’auteur autant de rancœur ? C’est une vraie question, pas de l’ironie. Je souhaite juste connaître les tenants et les aboutissants de ce pamphlet avant de porter un jugement.
    Merci.

    • 2 Platinum Flyer 29 mai 2012 à 09:52

      A l’origine, un accès refusé à un invité au salon (complétant un groupe de 6 ou 7 personnes) dans laquelle une compagnie l’a traité de « voleur » car il argumentait sur l’intelligence commerciale pour traiter la demande, plus que la procédure et la règle appliquée sans discernement. C’;est une situation quelconque, c’est peut-être l’accumulation de telles situations qui l’a fait réagir à celle-là plus particulièrement.
      Depuis, un constat dépité : embrigader au sol, dans le programme de fidélité et de plus en plus en vol, le dialogue client dans des règles et procédures, sans confiance dans le client qui est un « tricheur » qui cherche à contourner les règles, sans confiance dans le personnel qui lui aussi va prétendument essayer d’en tirer un avantage pécuniaire ou personnel, est-ce en temps de crise la meilleure idée pour une compagnie qui se prétend de qualité ? Surtout vis-à-vis de voyageurs fréquents, apporteurs de revenus pour la compagnie mais confrontés chaque jour au manque de souplesse et d’initiative, d’intelligence commerciale organisé par compagnie.
      La « rancœur » vient sans doute que ce message donné au management de la compagnie, obtient pour réponse : vous cherchez à tricher, obtenir des miles et des surclassements. Sans être capable de penser qu’un client peut aussi simplement vouloir améliorer les choses, dans son avantage et celui de la compagnie.

      • 3 Flo 29 mai 2012 à 14:45

        Je suis salarié et PNC pour AF.
        Il existe effectivement des brebis galeuses de partout, et j’en croise tout autant que vous au sol et dans nos avions.
        Il est dommage que vous mettiez tous les salariés dans le même sac, ce que font d’ailleurs les moins bons d’entre nous, puisqu’ils font pareil avec les tous les clients.
        Pour ma part, j’ai signé pour aller sur une base province, en augmentant ma productivité de 20 % (compensation 5 %).
        Je croise tous les jours des collègues motivés, des clients sympas mais aussi des clients presque méchants :-/ et des collègues tout autant.

        J’ai espoir que les bases provinces soient un laboratoire pour la suite : petite base mais écoute indéniable des retours des salariés et surtout des clients. Et les choses évoluent vite quand on est 250 PNC au lieu de 15000.
        C est toujours la même compagnie, les mêmes règles, le même service mais en vitesse accélérée pour gérer les demandes et les dysfonctionnements.
        C était juste un point de vue.
        À bientôt et merci.

  2. 4 Platinum Flyer 29 mai 2012 à 16:01

    D’abord, merci pour cet échange et l’éclairage positif et prometteur que vous donnez pour les bases en province, et l’engagement personnel que vous y consacrez. Effectivement, il ne faut pas mettre tous les salariés dans le même panier et, même si vous trouverez sur ce blog de vives critiques (d’autant plus exagérées que c’est une caricature d’une compagnie fictive) , même si en tant que passager, stressé pour plein de bonnes et mauvaises raisons, il m’est arrivé d’exprimer mon mécontentement directement au PN, je ne pense pas que mes commentaires les plus acerbes aillent indifféremment à tous les salariés. C’est la culture globale de la compagnie qui m’inquiète, de son haut management opérationnel (dans son discours formaté, pas dans son implication personnelle qu’il ne m’appartient pas de juger) et des équipes en charge de la gestion administrative du client, parce que leur capacité d’action est bridée par les règles et procédures imposées, beaucoup plus que les PNC qui gardent une certaine autonomie de décision. Pensez-vous qu’un sous-traitant de sous-traitant, cadré par des règles binaires, sans aucun droit de décision, si ce n’est de dire « je fais suivre au service concerné » soit motivé et motivant dans la relation client? Or c’est ce seul interlocuteur qu’un client fidélisé, haute contribution et haut statut dans le programme fidélité obtiendra lorsqu’il appelle la compagnie en cas de problème. C’est cela qu’évoque ce blog, dont j’espère vous ne lirez pas que le post ci-dessus, dont l’intro préalable indique qu’il est forcément réducteur (puisque calé par le texte initial publié par la compagnie).

    • 5 Flo 29 mai 2012 à 21:11

      Entièrement d’accord sur la relation client.
      J’ai pu apprécier, de la part de ma hiérarchie direct dans les avions, des prises de décision utiles et agréables pour le passager. Cel afin d’éviter non seulement un incident commercial en vol, mais surtout pour prendre en compte CE client à cet instant précis et sa demande.
      Promis, je vais faire le tour de ce blog et de cette fameuse compagnie ‘fictive’ 😉


  1. 1 Promo sur nos vols AIR-NAP, FAT-BOY, FUN-SEX et quelques autres « Air Napoléon Rétrolien sur 7 juin 2012 à 01:37
  2. 2 Waterloo | Air Napoléon Rétrolien sur 1 septembre 2013 à 11:35

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