Pourquoi faire simple quand on peut faire raffiné ? Au Japon, rien n’est comme ailleurs, et tout est compliqué. Prenez un tram à Hiroshima, par exemple à la station située devant la gare JR. Il y a là un guichet de vente et un distributeur automatique de tickets de transport, mais aussi une affiche indiquant, dans un anglais approximatif, qu’il ne faut pas y acheter de billet pour voyager avec le tram.
Le guichetier et l’appareil vendent des tickets, certes, mais uniquement le forfait journalier ou le combi tram + bateau et téléphérique pour aller au Mont Misen (ce que je vous recommande). Pour un trajet simple, on se référera plutôt aux indications données à l’arrière de la carte du réseau. Il suffit de rentrer dans un tram, très logiquement par la porte d’entrée, pour se présenter ensuite au contrôleur qui généralement se tient près de la porte de sortie. Il donnera un ticket blanc qu’il s’agit de bien conserver. Alternativement, une machine située à l’entrée de la rame peut fournir le ticket d’entrée, mais aussi valider votre forfait journalier ou débiter un portemonnaie électronique. Arrivé à destination, une machine similaire, cette fois près de la porte de sortie, permettra de contrôler les forfaits, prélever un éventuel complément de tarif sur les portemonnaies ou calculer pour les autres voyageurs, en poinçonnant le ticket reçu à l’entrée, le montant à payer au contrôleur. Le prix dépend de la distance parcourue, quoique j’aie constaté que la plupart des trajets usuels conduisaient chaque fois à payer 150 yens.
Le règlement au verso de la carte du réseau expliquera aussi comment opérer lorsqu’on souhaite faire une correspondance entre deux lignes du tram. J’avais imaginé décrire ici ce processus mais j’ai peur d’être long, en décrivant le ticket spécial de transfert, la porte à utiliser dans ce cas, et les machines et contrôleurs avec lesquels il faut dialoguer. Vous aurez tout loisir d’étudier cela en détail le jour où vous irez effectivement à Hiroshima.
D’autant que sur place, cette incroyable complexité vous semblera naturelle et aisée. C’est en effet l’occasion de saluer de la tête l’agent au guichet des ventes de la station de départ, qui vous tendra, tout souriant et bien utilement, un plan du réseau plutôt que de vous monnayer un ticket. Et une dame âgée sera là pour vous expliquer, très posément mais en japonais, le fonctionnement du tram et le plan des lignes. En général, après quelques phrases et face à votre regard perdu de Gaijin incapable de comprendre la langue et le folklore local, votre interlocutrice glissera dans vos mains un bonbon au lait, en pointant du doigt votre bouche pour vous faire comprendre qu’il s’agit d’un objet comestible. Entretemps, vous voilà dans le tram, où le contrôleur attentif et aimable quitte son poste et vous tend un billet, qu’il reprendra à la sortie, avec 150 yens puisque la machine affiche 150, sans que vous n’ayez vraiment eu à vous préoccuper de la procédure de paiement. Ni d’ailleurs de regarder le plan du réseau puisque tout au long du trajet, de nombreux passagers dans le tram se proposeront de vous aider, en pointant du doigt l’image du dôme de l’A-bomb (où bien sûr vous vous rendez) faisant comprendre s’il faut ou non descendre à la prochaine station. Ou offrant encore un autre bonbon au lait, s’il vous arrivait d’avoir l’air perdu ou contrarié.
Les lecteurs de ce blog ont certainement déjà compris que je ne suis pas un grand fan des procédures complexes, en particulier celles qu’édictent Air Napoléon la compagnie déclinante, et Miles & Blues son administration kafkaïenne des miles fidélité. Néanmoins j’aime celles qui s’appliquent au Japon. Parce qu’on les y déroule avec intelligence, en anticipant les besoins du client, en corrigeant les erreurs avec un sourire poli et en offrant un bonbon au lait quand on ne s’entend plus. Ainsi, pour aller à Hiroshima, j’ai emprunté un vol Jupon Airlines au départ de Tokyo Haneda : 180 passagers ont embarqué dans le calme, dans l’ordre et en moins de quinze minutes, tout en recevant de l’équipage, pour ceux qui en voulaient, des couvertures et des écouteurs. J’ai constaté la même efficacité sur le vol de retour vers l’Europe, où l’on sert les sushis au moment qui vous plaît, et gère les annonces de façon tellement plus intelligente : en les conjuguant au futur. L’équipage ne vous annonce pas au milieu de votre sommeil qu’il y a des turbulences (en le répétant quatre fois chez Air Napoléon qui croit être proche du client en le réveillant dans sa langue) ; il ne vous sert pas un plateau repas de façon impromptue (ni le un pingre sucré-salé d’Air Napoléon) ; et ne vous dit pas soudainement qu’on est en train d’atterrir et qu’il faut rester assis attaché. L’équipage vous explique au début du vol qu’en cas de turbulence le signal lumineux vous indiquera d’attacher vos ceintures (et qu’une hôtesse passera dans le calme aider les distraits à la boucler !) ; il annonce clairement les horaires standards de repas et les variantes de services ; il prévient enfin dix minutes avant la phase d’atterrissage qu’il reste ce délai pour ranger ses bagages ou utiliser une dernière fois les toilettes. Et parce qu’ils ont pensé à tout, Jupon Airlines diffuse pendant tout l’embarquement un film qui rappelle qu’il est préférable de ne pas rabattre sa tablette violemment dans le dos du passager du siège avant, ni baisser son dossier sans préalablement prévenir celui du siège arrière.
Comme quoi il est possible de tout procédurer et codifier avec humilité et intelligence, tandis qu’Air Napoléon continue à édicter ses règles et process sans âme et sans souplesse, qui semblent conçues pour organiser l’inconfort et institutionnaliser le mépris.
il n’y a pas si longtemps sur Jupon Airlines en classe bétaillère, on était réveillé toutes les heures par un jingle plus une douce annonce en 2 langues : il reste X heures de vol. Je suis revenu à Air Napoléon quasiment rien que pour ça 😉