Monsieur Begougne,
Officier de l’Empereur Air Napoléon,
Dans une récente et complaisante émission diffusée sur une chaîne publique, « Compliments d’enquête », vous vous êtes engagé à porter Air Napoléon au niveau des meilleures compagnies mondiales dès 2014, en surpassant les leaders actuels « sur le service et sur le produit » (sans néanmoins aligner vos tarifs à la baisse).
C’est reconnaître qu’Air Napoléon est aujourd’hui mal positionnée, moins confortable et plus chère, et il est heureux qu’enfin on l’admette publiquement au sein de votre compagnie. C’est aussi s’engager dans une bataille ambitieuse et je souhaite sincèrement que vous puissiez la gagner.
Néanmoins, nous sommes déjà en mars 2013, et je ne suis pas sûr que vos faits d’armes depuis le début de l’année suffisent au succès. En janvier, vos communicants ont couvert le pays d’affiches NiNi (ni bagage soute ni mile fidélité) prônant, à l’opposé de vos propos, une prétendue baisse des tarifs basée sur une réelle baisse des services. En février, on a souri aux histoires ridicules et radiodiffusées de puces, de sauts de puce et de puce à l’oreille, puis je me suis rappelé que gratter ne garantit pas de gagner. Et on a vu, la semaine dernière, un de vos directeurs s’émerveiller comme un gamin de l’originalité du rouge coquelicot des dérives fraichement repeintes de la flotte régionale ; j’ai beau avoir collé, à la suite de ces annonces, un point d’exclamation rouge sur le coffre de mon auto, je peux vous confirmer que ça ne change rien au confort intérieur.
Aussi, dans le simple souci de vous aider à tenir vos objectifs, j’ai réfléchi à un plan de campagne pour les mois à venir.
En avril, pour commencer, redonnez un nom et une identité à vos personnels. Dans les avions, ils s’appellent tous, à en croire leur badge, Sécurité Safety, en rouge sang le texte. Au sol c’est une armée anonyme et déresponsabilisée de costumes sombres. Pourtant, il y a, dans votre compagnie en déclin, tant de héros qui méritent d’être encouragés. Créez une page web où l’on puisse remercier ceux qui se bougent, pour le client et pour la compagnie, quitte à agir à l’encontre des règles absurdes que pondent des armées de bureaucrates inutiles, soit disant pour optimiser le résultat, mais qui en réalité plombent la confiance. Et puisqu’il faut réduire l’effectif, virez les petits chefs sédentaires que vous employez à justifier leur emploi, et avec eux les procédures navrantes qu’ils ont inventées pour réduire la liberté des passagers et organiser l’inconfort.
En mai, fais ce qu’il te plaît : c’est la consigne à donner toute l’année au nouveau responsable des collations sucrées-salées, que vous aurez pris le temps d’embaucher. Vous souhaitez maintenir une collation offerte à chaque vol, n’en faites-pas le symbole de votre inertie. Grand-mère poularde, qu’elle soit chocolat, caramel ou citron, est certainement sympathique deux ou trois fois par an, mais vraiment gavante quand on la croise deux ou trois fois par semaine. S’il faut varier dans le temps, en renouvelant l’offre régulièrement, il faut aussi multiplier le choix offert en vol. Je suis partisan d’un service additionnel payant, proposé en cabine, qui est aujourd’hui un vrai avantage compétitif des concurrents low cost sur votre modèle dépassé.
Continuez dans le culinaire en juin, pour supprimer l’horrible chariot de cantine en classe Bizbiz long-courrier, alors que tous vos concurrents sérieux prennent commande, apportent chaque plat individuellement, et développent ainsi avec chaque passager un contact bien plus privilégié. Proposez un choix de menus, plutôt qu’un assortiment en entrée et un trio de desserts, où chaque voyageur dépité fait finalement son choix directement dans l’assiette. Certes, la configuration actuelle de la cantinière Air Napoléon permet un service plus rapide, en comparaison à vos tentatives précédentes qui offraient plus de liberté mais avaient pour inconvénient d’être régulièrement débarrassé à New York du verre à champagne reçu au décollage à Paris. Mais c’est une optimisation basée sur l’industrialisation du jeté de plateau, malheureusement pas sur la personnalisation du service, plus exigeante pour le personnel, répartissant la charge en servant chaque passager au moment qui lui plaît. Il semble que celui qui l’a conçue cherchait à maximiser le temps libre des PNC (pour jouer à Tétris dans le galley) mais n’a pas pensé à se préoccuper du confort des passagers.
En juillet, il est grand temps de développer une réelle culture du client, notion totalement négligée dans votre compagnie, même si elle aime se convaincre du contraire. Allez-y radicalement, car il va falloir faire accepter à votre structure prétentieuse qu’elle n’est vraiment pas parfaite, pas du tout à la pointe, rarement professionnelle, toujours dépassée par ses concurrents, et pas uniquement à cause de charges sociales élevées, hautaine vis-à-vis des passagers, majoritairement paresseuse, incapable de se remettre réellement en question, à la chasse contre le passager tricheur plutôt qu’en conquête de nouveaux hôtes, méprisante et infantilisante envers tous ceux qui la critiquent et surtout stupidement persuadée qu’elle va changer tout ça avec de nouveaux sièges en 2014. Mais il est encore possible de changer. Renommez le tarif GP de « Gratuité Privilégiée » en « Gagne Petit » ou « Gabegie des Profiteurs », interdisez en l’utilisation au moins à vos personnels dirigeants et limitez absolument les avantages déplacés de priorité, de surclassement et de services additionnels que donnent ces billets : les tarifs GP sont le premier symbole de l’incapacité d’Air Napoléon à se préoccuper de l’intérêt du client avant tout. Soutenez les passagers contre les critiques de votre personnels, et même si un client a été ignoble cherchez à en connaître les raisons plutôt qu’à le discréditer d’office : le pax est, dans l’esprit de la compagnie, l’ennemi contre lequel il faut se battre, alors qu’il devrait être l’hôte qu’il faut satisfaire.
En août, parce que c’est les vacances, donnez une prime à Madame A. Norak, du service pare-chocs Air Napoléon. Chaque semaine, elle répond consciencieusement à mes courriers de suggestion ou réclamation, toujours posément et poliment, et je pense qu’on peut la récompenser de sa patience. D’autant que nous savons tous que ces échanges, sans aucune suite concrète de la part des « responsables des services concernés » auxquels elle transmet mes remarques, sont parfaitement inutiles. Ils ne font que marquer l’échec du personnel au moment de l’incident qui, par incompétence, par lassitude ou par interdiction d’initiative, a conclu en conseillant un « message au service client » plutôt que de chercher, quand il peut encore être résolu ou atténué, une solution au problème.
Début septembre, virez discrètement 99% des règles trop complexes et trop nombreuses de Miles & Blues (et des empilages de directeurs qui les récitent), qui ont progressivement transformé un programme de fidélisation en une administration intraitable du mile. Qu’on soit présent ou pas dans l’avion alors que le billet est acheté, que le billet soit opéré par un partenaire vert ou bleu, qu’on envoie l’original du coupon ou juste la référence du billet, votre programme est tellement peu généreux qu’il est bien moins coûteux et plus intelligent d’accepter immédiatement les demandes de régularisation de vos clients qui prennent la peine de vous écrire, plutôt que de multiplier les formulaires rébarbatifs pour vous en débarrasser. Prenez aussi un stagiaire, demandez-lui de saisir en ligne un barème de gain de miles simplifié et correct, car celui qui est aujourd’hui diffusé est faux en très grande partie : il affiche toujours quelques miles de plus de ce qu’on gagne réellement, et symbolise ainsi depuis des années la mesquinerie de votre programme, l’incompétence de votre service informatique et l’absence totale de respect de votre compagnie pour ses clients fidélisés.
En octobre, allez chez Lempereur Merlin et vous verrez qu’ils vendent des multiprises : prenez tout le stock pour équiper vos salons, y compris le S4 dont vous êtes si fier, car il est vrai qu’il est beau, mais comme beaucoup de chose dans votre compagnie, absolument pas pratique. C’est un salon conçu pour être en exposé en photo dans la pub, pas pour s’y installer, sur des sièges aussi inconfortables qu’esthétiques, poser son PC sur une table trop basse, et chercher désespérément une prise pour ne pas, avant de monter dans l’avion, user toute la batterie. Confiez aussi à votre responsable en diversification des collations, celui que vous avez embauché avant l’été, la lourde mission de proposer dans vos salons une offre variée, par pitié sans pain pitta ni biscuit de grand-mère poularde. Sur les dix dernières années, toutes les échoppes de CDG se sont adaptées, modernisées, mais pas les sous-sols du 2F. Il y a pourtant plein d’idées, moins sophistiquées et inutilement prétentieuses que la presse sur tablette dont Air Napoléon fait l’étendard de son modernisme, comme de différentier une prestation Bizbiz d’une prestation Fréquence, ou de collaborer avec des partenaires pour agrémenter le salon d’animations par définitions changeantes.
Pour novembre, vous aurez auparavant pris rendez-vous avec le gestionnaire de l’aéroport, afin de négocier avec lui plutôt que de subir, les absurdités innombrables qui font de Paris le pire endroit pour embarquer, débarquer ou transiter. Où sont les cabines pour se changer, les informations dynamiques sur l’horaire des RER ou l’absence de service, le respect des tags priorité sur les bagages, les stations taxis avec des taxis, le personnel pour débloquer les embouteillages qui bloquent la rotonde aux heures de pointe, la navette décente entre le terminal 2G et le RER ? Je paie des taxes énormes que vous leur reversez, et pour tous ces problèmes et bien d’autres, souvent de votre unique responsabilité, ont me ressort l’excuse d’écolier « c’est pas moi, c’est adépé ». Je suis prêt à venir négocier avec vous, mais plus à entendre Air Napoléon reporter sempiternellement la responsabilité sur d’autres. Vous prétendez apporter une attention particulière à vos passagers fidélisés, concrétisez-là au sein de vos exigences envers vos sous-traitants et d’une plus grande souplesse dans vos règles internes, peut-être aura-t-on moins l’impression que vous mentez.
Pour finir en décembre, voyagez incognito dans vos avions, et chez vos concurrents. Vous verrez qu’il reste, pour aborder 2014, encore beaucoup de chemin à parcourir, pour apprendre le geste apaisé pour distribuer, en étant rapide mais pas pressé, des plateaux repas ; pour s’inspirer de l’attention particulière d’un personnel qui propose des coussins et couverture en avançant à petits pas, laissant à chacun le temps de signifier son souhait d’en disposer ; pour reproduire le sourire complice en accordant, naturellement, un deuxième dessert à un passager plus gourmand ; pour être leader et pas suiveur sur l’innovation d’un service limousine qui vous conduit à l’aéroport ou le wifi en vol dès aujourd’hui plutôt que l’annonce qu’on en bénéficiera plus tard ; pour mobiliser un superviseur, à l’écoute et au service des passagers, disponible depuis le premier enregistrement jusqu’à la remise du dernier bagage ; pour penser à attacher délicatement le tag bagage pour qu’il n’abime pas la valise et prévoir une poubelle adaptée à côté des tapis de livraison pour qu’on puisse s’en débarrasser. En décembre donc, remplacez vos communicants qui prétendent que votre compagnie rend service par des opérationnels qui s’assurent que votre compagnie rend service.
Et dans tout ce processus pour cette année, je ne vous demande pas de changer les sièges bizbiz, dont le choix en 2012 pour un déploiement en 2014 nous assure qu’ils seront dépassés avant que le premier passager s’y installe, en photo sur fakecook et dans vos magazines. Ni de répondre personnellement à ce long courrier, car nous savons que, en mars 2013, la culture de votre compagnie ne vous permet pas d’imaginer que l’avis d’un passager, hors cadre statistique et contrôlé des questionnaires prédéfinis distribués en vols, ou des festivités auto-congratulantes réservées majoritairement aux membres ClubZéro, mérite une attention sincère.
C’est bien pour cela que cela fait aujourd’hui deux ans que ce blog, http://www.airnapoleon.com (www.facebook.com/airnapoleon), existe.
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